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Témoignage d’une maman formidable!

L’autisme, cette geôle familiale…

Évidemment, quand on vous parle de notre enfant, c’est le plus souvent pour souligner ses progrès, dire ses aptitudes, ce qui le valorise, tout ce qui va bien, ce qu’on vit de sympa tout ça.
Évidemment, si vous le croisez quelques minutes au hasard d’une balade, vous le trouverez “normal”, “gentil”, vous direz “ça se voit pas !”. Peut-être même vous repartirez avec le sentiment que l’on en fait trop, que l’on exagère, que l’on met vraiment des diagnostics un peu à tout le monde, que l’on pourrait quand même bosser parce que “la collègue de mon frère, son môme est autiste et elle bosse, elle !”. Dont acte. Peut-être même vous vous direz que l’on dilapide l’argent de vos impôts avec cette AVS qui ne doit servir à rien, et cette allocation qui nous permet de nous la couler douce à la maison abusivement. Ou alors vous vous direz peut être que “ce môme est juste hyper mal élevé !”, pensez-vous il fait une crise au supermarché et en plus sa mère le console… ! Et puis il y a ceux d’entre vous qui nous plaindront sans vraiment comprendre mais avec bienveillance, ou avec pitié. Et puis… Et puis…
Bref tous, vous penserez des choses, porterez un jugement mais sans avoir les éléments qui vous permettent de comprendre, de savoir… Que connaissez-vous vraiment de l’autisme ? Ce qu’on en montre à la télé… et ce qu’on en montre est à chaque fois une réalité parmi des milliers de réalités… Pour nous comprendre, il faudrait vivre notre vie, notre vie d’autiste, notre vie de famille d’autiste, comme le font parfois nos proches, mais si rarement…
C’est après un week-end éprouvant que l’on peut parfois se poser, prendre du recul et se dire que l’on va essayer de vous faire toucher du doigt ce qu’est cette vie-là.
Imaginez que votre enfant ait des dizaines et des dizaines d’angoisses ancrées en lui, des angoisses impactant toute sa vie. Imaginez que les lieux ou objets usuels du quotidien puissent devenir terrifiants pour lui. Imaginez que le moindre bruit puisse le mettre en alerte et le bouleverser pour des heures, des jours… C’était quoi ? Pour quoi ça fait ce bruit-là ? Ça marche comment ? Ca le refera ? C’est dangereux ? Ça vient d’où ? Comment ça marche ? Etc…
Vous imaginez…? Eh bien dites-vous que vous êtes encore bien en dessous de la réalité !
Aux yeux de tous, Titi est un baroudeur, il part régulièrement en vacances avec moi, en famille, entre amis, en location, en camping, à l’étranger, par avion, en voiture. Forcément pour partir comme ça, partout, facilement et depuis toujours, pour que l’emmener comme ça ait toujours été possible c’est probablement que c’est facile, qu’il s’adapte à tout. Sauf que… non… Chaque départ nécessite une immense préparation, des mois de préparation et surtout une préparation un peu inhabituelle…
Cet été nous partons sur l’île de Noirmoutier, en camping dans une “ Tente Toile & Bois”, esprit un peu cabane de trappeur, sans sanitaires à l’intérieur. Noirmoutier, il connait, nous en revenons, d’un petit séjour familial avec Papy et Mamie dont on fêtait les Noces d’Or… Donc déjà nous ne partons pas en territoire inconnu, inutile d’écumer Google Earth pour “visiter virtuellement” au préalable l’île… ouf ! Mais on part quand même dans un lieu inconnu regorgeant d’endroits très anxiogènes pour Titi, notamment les fameux sanitaires… Il est incapable d’aller sur un WC sans abattant, pas plus de faire pipi debout… alors je vous laisse imaginer le stress des promenades et voyages, des aires d’autoroute et des sorties dans les lieux publics, où vous ne l’aurez peut-être pas remarqué, mais lui, oui : il y a de moins en moins d’abattants… Il est aussi terrifié par les douches où l’eau arrive par le haut, les douches sans douchettes mais aussi les douches qui ont une pomme de douche large au-dessus et douchette. Sans douche adaptée, il est impossible de le doucher. Donc pour ce départ j’ai dû appeler le camping en croisant les doigts pour y tomber sur quelqu’un de sympa (et ça a été le cas, merci Cindy du Domaine le Midi !) et demander que l’on prenne en photos les douches et WC, pour voir comment ça se présente et le préparer, nous préparer aussi à nous adapter au cas où… Déjà nous embarquerons un petit réducteur de WC pour nos pauses pipis et s’il le faut nous achèterons une douche de camping, en espérant qu’il fasse beau et trouverons comment aménager un espace “intime” hors de la tente pour cette douche improvisée…
Oui ok, vous allez vous dire que l’on aurait pu louer une maison avec une baignoire et des WC avec abattant… mais ce n’est pas le même budget non plus, une location… Et puis il faut avancer, il faut l’aider à dépasser ses peurs ou à vivre avec… Et puis ailleurs il y a d’autres angoisses aussi, terrées au détour d’un escalator, qu’il ne peut plus emprunter ni pour monter ni pour descendre (la plaie aux aéroports !), d’un escalier un peu raide à clairevoie. On doit tout prévoir, même et surtout l’imprévisible pour s’éviter l’enfer que l’on a encore connu récemment dans une location où la chambre était à l’étage, accessible par une échelle de meunier. Il est monté mais impossible de redescendre. Et ce malgré 30 minutes de palabres et négociations, de propositions de stratégies, toutes refusées dans la terreur… Au bout de 30 minutes on a dû agir et descendre manu militari à 3 un enfant terrifié, hurlant et se débattant, tremblant comme une feuille et dégoulinant par tous les pores de sa peau. Cette crise l’a dévasté et moi avec. Heureusement que j’avais du relais car le cœur et les tripes à l’envers, seule, je n’aurais rien pu faire…
Je vous épargne l’organisation quasi militaire de nos semaines, réglées comme du papier à musique, la nécessité de planifier la moindre de nos invitations et d’alléger parfois de manière drastique son emploi du temps quand cette petite cocotte-minute sur pattes est au bord de l’implosion.
Je ne vous épargnerai pas, par contre, la galère du couchage et de l’endormissement avec toutes les angoisses que la nuit réveille car nous sommes nombreux à la vivre… En 6 ans, lui et moi, on en a vécu des soirées terribles, à chercher le sommeil, à tenter d’apaiser les angoisses, les stratégies pour trouver l’origine de chaque nouvelle peur et comment y remédier. Prendre la chambre en photo pour qu’il montre sur la photo ce qu’il ne peut dire ou montrer du doigt : ce fucking petit trou dans un meuble, cette saleté de nœud dans le bois, ce put… de rai de lune qui fuse par le rideau, cette salop… de bulle d’air dans le circuit du chauffage… On vire le meuble, on bouge le lit, on met un rideau là, un truc pour cacher ici, on rogne sur son espace vital et on remet un matelas par terre dans sa chambre en secours, il s’y installe de longs mois, on installe une toile de tente dans la chambre et on y campe pour qu’il se réapproprie ce lieu qui le terrifie depuis des mois, on achète un nouveau lit-cabane, on met une veilleuse comme ci, une lumière comme ça, on emballe le lit avec du tissu pour en faire une tente-cabane, on achète une couette “Pat Patrouille” (parce que c’est son intérêt restreint du moment) alors que l’on s’était toujours juré de ne jamais faire un truc pareil (oui avant j’avais des principes maintenant j’ai un enfant et j’aimerais qu’il se sente en sécurité..!). Et puis en fin de compte, ils sont nuls les Pat Patrouille, “aucune mission n’est trop dure car mes amis ils assurent” ! Eh ben non Ryder ! Loupé ! Titi, vous n’arrivez pas à le faire dormir toi et tes amis ! En voilà une de mission loupée ! Moi qui vous faisais confiance ! On met en place des renforçateurs, en vain, on essaie tout et Titi finit toujours par changer de chambre et tenter de se caser dans le lit parental en loussedé… Le réveiller, le recoucher, être réveillé dans la nuit par un gnome qui tente l’incruste, le recoucher… encore et encore…
Alors vous pensez bien que les fiestas à pas d’heure, on évite, que les invitations y en a pas 12000 non plus, que les sorties on les sélectionne même si on s’interdit de renoncer…
Forcément il y a des jours où le lot d’angoisses est si fourni, où l’explosion de la cocotte-minute est si importante que l’on ne bouge pas, que l’on reste là à attendre que ça passe, et que l’on sent la geôle de l’autisme se refermer sur nous, avec lui. Ces jours-là, on flippe pour l’avenir, on se décourage, on fait la liste de ses peurs nouvelles qui ont rejoint les anciennes, on se rend compte que l’on a fini par oublier celles qui ont disparu mais on se dit que quand même c’est de plus en plus dur…
Les clefs de notre geôle, il y en a plusieurs ! Elles existent ! Et c’est ça qui à la fois parfois donne la rage mais souvent encourage !
La clé numéro un c’est l’Etat via les MDPH qui l’a : filez nous enfin de la thune pour faire accompagner au mieux nos enfants par les bons services, les bons professionnels formés ! L’autisme n’est pas une maladie et ça ne se guérit pas mais c’est un trouble neurodéveloppemental dont on peut atténuer les effets par un bon accompagnement !
Eh Monsieur le nouveau Président En Marche, toi qui like le libéral, s’il te plait, aide nous à les faire bosser en informant les MDPH qu’un educ, un psy, un psychomot’ et un orthophoniste, ce n’est pas du luxe mais une nécessite pour nos gamins et que ça coute des sous !
Et la clé numéro deux, c’est vous qui l’avez, vous les gens autour, vous les gens que l’on croise en sortie, au supermarché, vous les parents de l’école, vous tous : dans votre compréhension, dans votre information sur ce qu’est l’autisme, dans votre absence de jugement, dans vos sourires, envers nous et envers nos gamins…
Toutes les autres clés on les trimballe en nous et on les essaye toutes pour éviter que la geôle ne se referme trop souvent…

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